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DITES-NOUS POURQUOI… LES PRODUCTEURS SUISSES VIVENT MAL LA FIN DES QUOTAS

Peter Gfeller est président de FPLS (Fédération suisse des producteurs de lait) qui, via ses douze fédérations régionales, fédère 97 % des 27 000 producteurs suisses. Il est aussi vice-président de la récente interprofession du lait de centrale (lait d'industrie non transformé en fromage), l'IP lait, créée le 28 juin 2009. Siègent à l'IP lait deux collèges de dix représentants chacun, le premier pour les organisations de producteurs de lait, le second pour les transformateurs et le commerce.

Malgré ses nombreuses prérogatives, l'interprofession du lait d'industrie n'a pas réussi à stabiliser le marché. La faute à un rapport de force déséquilibré en son sein à la défaveur de producteurs trop divisés.

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L'interprofession créée en Suisse pour accompagner la fin des quotas jouit de nombreuses prérogatives. Lesquelles ?

Peter Gfeller : L'IP lait s'est donné comme but premier d'équilibrer la production aux besoins du marché pour assurer une valeur ajoutée suffisante à tous les niveaux de la filière. Pour gérer ces quantités produites, elle a mis en place une segmentation du marché à trois échelons. Le premier correspond au lait contractualisé, la loi obligeant à un contrat d'un an minimum. Limiter la production étant devenue impossible sans quota, il existe un second échelon : une bourse supervisée par l'IP Lait. Les laiteries ont l'obligation d'y proposer tout leur lait d'excédents hors contrats et d'y acheter le lait non couvert par des contrats. Le troisième échelon correspond à du lait de dégagement.

Dans ce cadre, l'IP lait peut fixer une recommandation de prix pour le lait sous contrat, sur la base d'un index calculé par l'Office fédéral de l'agriculture. Elle peut aussi lui fixer un indice de volume à la hausse ou à la baisse en fonction des perspectives. Il ne s'agit pas d'une recommandation, comme pour le prix, mais bien d'une décision applicable à tous. Elle a un moyen légal pour cela, la force obligatoire avec des sanctions possibles à la clé. Elle dispose du même droit pour le principe de causalité qui permet de pénaliser de façon plus importante ceux qui produisent plus que leur droit. La question se pose quand il s'agit de réduire les quantités sous contrat ou de prélever une contribution pour, si besoin, assainir le marché.

L'IP lait a-t-elle atteint ses objectifs ?

P. G. : Ce qui était idéal sur le papier s'est révélé irréaliste. L'IP lait a pris un certain nombre de décisions à la majorité requise, qui ont été sans suite. Début 2010, on a voté pour réduire les quantités sous contrat et maintenir le prix indicatif. En vain. La bourse est aussi un échec. Il y a des contrats parallèles. On est loin de l'équilibre recherché.

La production dépasse de 5 à 7 % les besoins du marché. Cet excédent est le fait de 20 % des producteurs, les autres 80 % étant à leur niveau de production de 2006-2007. Avec un prix du lait d'industrie à peine à 0,60 CHF/kg, qui a baissé de 0,15 CHF par rapport à 2007-2008, les producteurs sont loin d'avoir leur part de valeur ajoutée. Ils ne couvrent leurs coûts de production qu'à 60-70 %. Ils sont en plus mis à contribution (15 MCHF) pour résorber 3 000 t de beurre (10 000 t en stock). Le schéma envisagé est un échec, mais sans IP lait, la situation serait encore plus catastrophique.

Pourquoi cet échec malgré toutes ces prérogatives accordées ?

P. G. : L'IP lait a le pouvoir légal d'imposer ses décisions, mais pas la volonté politique de passer à l'acte. Les rapports de force y sont trop déséquilibrés et à la faveur de transformateurs qui n'ont aucun intérêt à stabiliser le marché et à voir monter le prix du lait. 1 c/kg, c'est 30 MCHF en plus ou pas pour eux. Le manque de volonté vient aussi de certaines organisations de producteurs : celles de ces 20 % qui ont une stratégie de pénétration, qui veulent un prix haut par un prix bas. Traduisez : ceux qui misent sur l'arrêt de leurs voisins dans l'espoir illusoire de se trouver maître du jeu et d'imposer leur prix.

Ce manque de volonté traduit surtout un déséquilibre patent. Face aux quatre laiteries qui collectent 80 % du lait, il y a 38 organisations de producteurs en concurrence. Certaines, représentées à l'IP lait mais trop liées à tel transformateur, rechignent à s'y opposer craignant qu'on leur serre la vis. Le coeur du problème pour les producteurs est d'avoir échoué dans le niveau de regroupement de l'offre. Si nous avions réussi notre pool national, nous n'en serions pas là. Reste à savoir si dans ces conditions, la transformation aurait accepté une IP lait où le rapport de force aurait été équilibré.

PROPOS RECUEILLIS PAR JEAN-MICHEL VOCORET

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